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2005-2015, on n'oublie pas, on ne pardonne pas !
2005-2015, on n'oublie pas, on ne pardonne pas !

Témoignage d'une militante de Femmes en lutte 93

"Les émeutes de chez moi, à Bagatelle, Toulouse"

 

Nous publions ce texte d'une de nos militantes.  10 ans après la mort de Zyed et Bouna et le déclenchement des révoltes en banlieues le 27 octobre 2005, elle raconte comment elle a vécu ce moment, elle, fille d'immigré ouvrier espagnol, ouvrier dans le quartier populaire de Bagatelle, à Toulouse. Elle raconte la rénovation urbaine qui peu à peu tue le quartier et la vie sociale. Elle fait état de la vie de son quartier, bousculée par ces disparitions meurtrières.

Nous avons choisi de publier ce texte aujourd'hui car les témoignages individuels permettent de comprendre notre histoire, parfois mieux qu'un discours. 

Zyed et Bouna, et tous les autres, vous vivez dans nos luttes !

Vérité et Justice pour les familles ! 

Marche de la dignité et contre le racisme, samedi 31 octobre 2015, dès 14h à Barbès !

 

 

"Fin octobre, début novembre 2005, je me souviens. Je me souviens du noir profond planant sur la ville, et ce dès 17h. Je me souviens du chemin, du métro à chez moi, de chez moi au métro. D'abord "la rue du chichon", re-re-baptisée par ma sœur et moi en "boulevard de la mort". Des immeubles, des tours, des trous, des immeubles, cette rue est un gravas ambulant. Les immeubles sont remplacés par des trous béants dans le front de rue, et le vent s'y engouffre, un peu plus on décolle. Pour éviter les rodéos comme ils disent des énormes pierres bloquent l'accès aux trous. Ensuite, le bois des ténèbres, à peine éclairé, et puis la place où je vis, où nous vivons avec ma famille. Dans cette rue, j'y ai vu des immeubles peu à peu mangés par les énormes pelleteuses, comme des plantes carnivores. Et puis, voilà maintenant les trous remplacent les immeubles.
Dans ce décor bizarre, un peu comme une fin du monde, en tout cas une fin de quartier, la nouvelle tombe. Et là, ça s'embrase, comme ailleurs. Je sens la rage, la colère. Ce sont des enfants. Morts parce que peur de la police. Peur à raison. La police les a laissé mourir. Et d'autres enfants ou presque sortent chaque nuit. La tension est palpable en écoutant les médias parler des victimes qui revenaient du foot en parlant de délinquants. La tension est palpable. La tension est palpable les lendemains, au constat de ce qui a cramé. Mais où ont- ils la tête disent les vieux ? La tête, ils l'ont au cœur, le cœur en rage par la mort de deux enfants. La tension est palpable, couvre-feu, carrément, comme pendant la guerre d'Algérie. Mesures d'exception comme ils disent. Nos quartiers sont une exception.
 
Drôle de période. En sortant de la fac où un mouvement étudiant est en cours, je remonte le "boulevard de la mort" et je tracte pour un collectif de solidarité et de soutien aux émeutiers : PJPP : pas de justice pas de paix. Des camarades étudiants sont sortis eux aussi quelques soirs dans les quartiers et ont vu un jeune perdre sa main en voulant relancer une grenade lancée par la police...Ça me donne pas envie de sortir le soir à mon tour, je regarde par la fenêtre et constate les lendemains brumeux et cramés. 
 
Quelques mois après c'est officiel, ils veulent faire de notre immeuble un trou à son tour. Malgré une petite résistance du voisinage à l'annonce, les voisins partent peu à peu, parfois loin, très loin. On nous propose très loin aussi.  Refus de notre part, on nous regarde avec mépris. On fera place nette finalement suite à la mort de mon père. Avec ma sœur, on recouvre les murs de rage : dessins, slogans, symboles révolutionnaires. Tout sera mangé, détruit par les machines et deviendra un trou parmi les autres trous, alors à quoi bon.
 
Dernier affront : un état des lieux. Par un col blanc à cravate qui se permet de mentionner que les murs sont gribouillés.
 
Aujourd'hui, 10 ans après, les trous ont peu à peu fait place à des petits collectifs tout mignons et tout "sécurisés" comme ils disent. Où sont passés mes voisins ? Ou sont passés ces ombres qui sortaient la nuit, la rage au cœur ? "

2005-2015, on n'oublie pas, on ne pardonne pas !
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Tag(s) : #Violences policières
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