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Texte d’une camarade de Femmes en lutte 93

« Notre soif de justice a un nouveau nom : Traoré. »

Nous publions ce texte d’une de nos camarades, écrit en réaction à la persécution policière et au déni de justice que subissent la famille Traoré. Face à l’insupportable, il est important pour nous de nous exprimer telles que nous sommes, avec nos mots et de rappeler que nous n’arrêterons pas de lutter contre ce système qui nous oppresse. Comme l’a écrit notre camarade, « si des familles en deuil ne réveillent que haine, acharnement et mépris chez vous. Sachez que nous respirons au même rythme qu’elles ».

Soutien, force et solidarité à la famille Traoré et à toutes les familles victimes de violences policières !

24 novembre 2016, Saint-Ouen.

Mon cœur, ma tête et mon corps sont tous tendus vers Beaumont. Plus de 10 ans après les émeutes, après Villiers-le-Bel, après le climat raciste permanent, l'histoire se répète.
La famille Traoré écrit encore une page de notre histoire : crimes policiers et acharnement sur la famille. Cette violence nous laisse sans voix, on ne s'y habituera jamais.

Après la criminalisation de la sœur d'Adama, Assa, c'est  maintenant à deux frères Traoré, Youssouf et Bagui, de subir les frais de cette justice à deux vitesses. Ils ont été placés en détention provisoire. Cette mécanique bien huilée consiste à inverser les rôles : les victimes se retrouvent dans le box des accusés. Pendant que les vrais coupables sont en liberté.

Depuis ce matin, ces questions me hantent : avons-nous droit de vivre ? Avons-nous droit de pleurer ? Avons-nous droit de faire notre deuil ? Avons-nous droit à la justice ?

Nous sommes traités comme des citoyens de seconde zone. Nous n'avons pas les mêmes droits, pas accès à la décence d'être traités comme des êtres humains. Ce système est sans respect pour nous, même dans les circonstances les plus tristes d'une vie : la mort des siens.

Ceux et celles qui ont perdu un être cher, savent la douleur et la peine insupportable.
Ils savent le temps long du deuil, du parcours pour recréer une vie sans la personne aimée. Ils savent les angoisses, les insomnies, les pleurs, cette vie avec un goût de mort.

Cet acharnement répétitif, cette absence de vérité, ce déni de justice, cette violence inouïe sont autant d'obstacles pour faire son deuil. Et le deuil, c'est déjà en soi un combat, une bagarre intérieure.

Alors mon cœur, ma tête et mon corps vont vers les Traoré.

C'est insupportable politiquement et humainement, de regarder l'Etat représenté par sa mairie, sa police, sa justice et ses médias, traiter une famille endeuillée comme des criminels. Mais la famille Traoré n'est pas n'importe quelle famille : c'est une famille avec une soif de justice pour faire la vérité sur ce crime.

Ça me met en colère. Comme tous et toutes. Mais avec une mécanique particulière : un écho, un son sourd à l'intérieur. Je n'ai jamais vécu les drames liés à un meurtre de la police. Mais perdre un être cher, tué par les injustices de cette société,  je connais le goût de ce drame.

Comme ces milliers de femmes qui ont vu leurs maris et pères mourir de l'amiante ou de la silicose, j'ai perdu mon daron, sans possibilité d'avoir la moindre reconnaissance, la moindre condamnation des patrons coupables de sa mort, l'ouvrier arabe anonyme.

Comme ces migrants en Méditerranée qui voient leurs femmes, leurs enfants, leurs pères mourir sous l'œil froid et calculateur des gardes-côtes et des politiques.

Comme ces familles qui enterrent leurs mères ou sœurs tuées, violées par leur conjoint ou un inconnu sans que la police ou la justice ne bougent le petit doigt.

Comme les syriens, les palestiniens, les peuples du monde entier qui meurent sous vos bombes, pendant que vous dormez bien au chaud.

Patrons, flics, juges, journalistes... vous n'avez rien à offrir. Vous montrez votre faiblesse, c'est vous les sauvages. C'est vous les racailles. C'est vous les humains de « seconde zone ».

En nous battant pour ne pas perdre notre dignité que vous essayez de briser sans arrêt, nous rappelons que c'est vous les animaux. L'humanité est de notre côté. En nous battant pour la justice et la vérité, en criant nos résistances : nous rejetons votre déni de justice.

En trouvant du respect, de la solidarité et de la force auprès des nôtres, dans notre quartier, nos familles et nos ateliers, nous rappelons que c'est nous, la voie de l'humanisme et du respect.

Si des familles en deuil ne réveillent que haine, acharnement et mépris chez vous. Sachez que nous respirons au même rythme qu’elles.

Notre soif de justice a maintenant un nouveau nom : ce nom c'est Traoré.


« Quelle issue reste t'il aux survivants ? La politique, la lutte acharnée.
C'est la seule issue pour résister aux aliénations, humiliations, oppressions.
Pour survivre aux drames, je choisis l'organisation collective. »

Lady Gaza, "A nos pères et mères ou le courage de la Ghorba",
Le Charbon, Editions BBOYKONSIAN, 2014.

 

 

Tag(s) : #Violences policières
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