Coronavirus, Crise sanitaire, répression :
APPEL AUX TÉMOIGNAGES DES
FEMMES DES QUARTIERS POPULAIRES !
En cette terrible période de pandémie, plus que jamais on garde notre ligne : la parole aux femmes exploitées, sans papiers, des quartiers populaires !
Nous invitons les femmes à nous raconter leur quotidien, au travail et/ou confiné.es.
A écouter dans notre tout premier podcast : le témoignage confiné de V. Becarefolle, animatrice vivant à Saint-Denis.
V. Becarefolle est une femme qui élève seule son fils et habite dans un quartier populaire de l'Ile Saint Denis (93). Elle a 34 ans. Elle est animatrice socioculturelle.
Cette femme, engagée pour créer des solidarités dans son quartier, est aussi engagée auprès de la jeunesse des quartiers populaires, notamment à travers l'art et l'animation. Le jour où nous avons pris son témoignage, elle faisait une banderole à mettre sur son balcon "Y a pas moyen COCOvid19" à la fois pour dénoncer la gestion liée à ce virus, sa rage de vivre mais aussi un rappel face à la violence des hommes... Tout ça avec une petite dédicace à Aya Nakamura.
Elle nous livre ses confidences poignantes, celles d'une survivante, qui fait face aux violences qu'elle a vécu et ses conséquences. Notamment la mémoire traumatique, son impact dans le quotidien. Elle interroge la transmission de notre histoire à nos enfants, surtout quand on est issu d'une famille brisée. Elle partage ses réflexions puissantes sur le confinement pour les femmes, notamment sur la gestion des traumatismes, des violences, la gestion des enfants, du conjoint et/ou ex.
Elle finit ses confidences par un appel puissant à un réveil collectif pour l'égalité. Pour nos enfants et les femmes, pour tout le monde.
Pour écouter ce témoignage en Podcast, cliquez sur le lien suivant :
Bonne écoute !
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Retranscription écrite du Podcast avec V. Becarefolle
A lire ci-dessous
Le confinement, dans ma famille, on connaît un peu. Je suis la fille d’un père taulard que j’ai pas connu parce que ma mère a préféré nous protéger et partir à ma naissance. Et aussi le fruit d’une mère qui a vécu l’inceste toute son enfance, donc confinée la nuit avec un beau-père incestueux, quoi ! Et puis moi, plus tard, j’ai connu le confinement en psychiatrie. Parce que rien ne se perd, tout se transmet.
Ce que je veux dire par cette citation, c’est que la mémoire traumatique, quelle qu’elle soit, elle se transmet tant qu’elle est pas guérie. Elle se transmet de génération en génération jusqu’au moment où un des enfants décide de briser le silence et d’affronter les démons du passé, et puis de se relever et de guérir de ce passé. Tant que la page n’est pas tournée, c’est très compliqué d’en écrire une nouvelle. Moi, c’est mon constat en tout cas. Et j’ai l’impression, bon, qu’il y a quand même pas mal de psychologues qui ont constaté la même chose.
Quand on est le fruit d’une famille comme ça, brisée, on est déséquilibré car on ne s’est pas construit correctement. Ma mère elle a pourtant essayé, hein, comme elle a pu de m’épanouir, et de me transmettre le meilleur d’elle-même ; mais malheureusement il y a eu des manquements, il y a eu des erreurs de sa part, dues à son traumatisme et à son stress posttraumatique – ceux qui ont envie de s’intéresser à ça… Hé ben, ce stress-là m’a été transmis : les cauchemars, les sensations, la peur, la peur de l’abandon… Pas mal de choses comme ça qui m’ont été transmises inconsciemment et qui fait qu’aujourd’hui, dans mes relations amoureuses, c’est très compliqué. Très, très compliqué. Hé oui !
Actuellement, je vis à L’Île-Saint-Denis, dans le 93. Je suis née à Saint-Denis d’ailleurs. Et je vis seule avec mon fils, je suis séparée de son père depuis quatre ans maintenant – le p’tit a cinq ans – donc on s’est séparé quand il avait un an, pour la simple et bonne raison que… bah voilà, quoi, ça devenait un peu trop conflictuel et j’ai voulu – comme beaucoup de mamans qui décident au bout d’un moment de se séparer – protégé mon enfant de ces conflits, de ces traumatismes et m’isoler avec lui pour pouvoir construire toute seule, dans mon coin… Même si c’est dur, seule, de construire une famille, on est d’accord, mais c’est quand même beaucoup plus sain de se protéger, de protéger son enfant et de s’échapper des griffes d’un foyer qui te met mal, qui t’empêche d’éduquer ton enfant correctement, et qui petit à petit te rend dépressif, quoi !
Le genre de relation toxique qui t’empêche d’évoluer, qui te fait régresser, qui te fait petit à petit perdre confiance en toi, qui fait que petit à petit tu t’isoles des autres parce que t’as honte, voilà, parce que beaucoup, beaucoup de choses se mettent en place dans ta p’tite tête et tu finis par te sentir coupable. Ce schéma-là, je le connais, et j’ai voulu le fuir le plus rapidement possible pour protéger mon fils.
Sauf qu’étant donné que j’ai pas eu de papa moi aussi, il était hors de question pour moi que mon fils vive la même chose. Donc, déjà, j’ai demandé à son père, à la naissance, de reconnaître l’enfant, parce que la reconnaissance c’est la première chose à faire quand même pour une personne, c’est la reconnaitre en tant qu’être humain, en tant que personne. Donc mon fils a le nom de famille de son père et non pas le nom de famille du beau-père de ma mère que je porte moi aussi. Donc ça, c’était important aussi de tourner cette page-là au niveau du nom de famille.
Et donc il était important pour moi que la relation entre eux deux continue malgré la séparation. Donc j’ai insisté pour que mon fils continue de voir son père et que son père surtout continue de voir son fils pour leur équilibre à eux deux. Il a le droit d’être père, c’est lui qui m’a demandé même ! Et mon fils, il a un père, donc il a droit de le voir, ça fait partie des droits du petit et du papa. Et ça, je peux pas leur enlever, je m’appelle pas Justice. Voilà. Donc…ça, c’était important pour moi qu’il garde ce lien-là, même si c’est super compliqué à mettre en place parce que vas-y…je passe les détails, mais c’était important.
Donc ce qui peut paraître paradoxal dans cette histoire quand on l’écoute de loin, c’est « mais qu’est-ce que tu fous ? Tu t’es séparée, alors trace ta route et oublie-le le mec, il sert à rien, il t’aide pas, il a l’air de te stresser plus qu’autre chose », et voilà. On est d’accord, sauf que bah j’y arrive pas. J’y arrive pas parce qu’il y a la culpabilité qui se met en place parfois dans ma p’tite tête et j’ai peur… J’ai peur pour lui, j’ai peur qu’il lui arrive du mal, qu’il arrive pas à s’en sortir, j’ai peur qu’il baisse les bras, qu’il sombre dans l’alcool, j’ai peur qu’il devienne clochard, que son fils plus tard le rencontre dans la rue, enfin voilà. Un peu comme une maman qui a peur pour son fils, donc bon… Pourtant, c’est pas mon fils. C’est plus mon mec. Va savoir d’où ça vient ? Je sais pas. Tout ça pour dire qu’aujourd’hui, bah, il est confiné avec moi. Pourquoi ? Parce que la crainte, encore, qu’il meurt. La crainte de dire un jour à mon fils : « Papa, il est parti. Papa, ça y’est ». La crainte que mon fils, plus tard, m’en veuille : « comment ça t’as laissé papa ? Comment ça tu l’as dégagé ? Comment ça t’as pas pu empêcher ça ? ». Voilà. Donc la culpabilité et puis aussi l’empathie. L’empathie. La pitié, peut-être ? Je sais pas. Mais en tout cas je pouvais le laisser crever dans la rue tout seul sous coronavirus, quoi. Donc je lui ai demandé gentiment de venir à la maison pour m’aider à m’occuper du petit et surtout pour venir s’abriter, quoi ! Parce que malheureusement il a pas eu le temps de rentrer en Roumanie, donc voilà. Il a pas pris ce temps-là, il a pas compris l’ampleur du truc, et… il a que moi ici, donc voilà je suis là pour lui. Et…je suis là pour lui parce qu’il a été là pour moi à certains moments aussi, et il faut pas oublier les gens qui sont là pour toi dans des moments où il y a personne, hé ben il faut être là pour eux dans les moments où il y a personne. Voilà, ça fait partie de mes valeurs. Donc, voilà, mon histoire.
Tout ça pour dire que j’espère que ce temps d’introspection pour tous… parce que le fait d’être confiné là, face à soi-même, au sein de son foyer, je pense que ça va réveiller pas mal de choses, chez les uns et les autres, et j’espère que ça va permettre à des familles d’être encore plus fortes, parce qu’elles auront affronté ensemble les difficultés du quotidien. J’espère que ça va permettre à beaucoup de femmes de se libérer des chaînes, des griffes de leur mari violent, grâce à des groupes de femmes qui se mettent en place sur les réseaux pour justement aider par rapport à ça, par rapport aux violences faites aux femmes. J’espère que les voisins seront par la suite de plus en plus solidaires entre eux. J’espère que l’intergénérationnel va se réconcilier. Ce que je veux dire par là, c’est que les jeunes auront plus de respect pour les vieux, même si jusqu’à maintenant je vous cache pas que j’avais pas l’impression qu’ils leur manquaient de respect. La preuve, aujourd’hui c’est quand même les jeunes qui aident les personnes âgées pour les courses et pas mal de choses, donc c’est quand même une sacrée légende que les jeunes ne respectent pas les vieux. Voilà. J’espère que ce temps de confinement va nous permettre de revenir plus forts, plus déterminés. Que les hommes prendront conscience aussi de l’importance de la femme au sein du foyer. C’est pas juste la petite boniche qui fait tout ce qu’il y a à faire à la maison en fait. C’est la base, la chape, c’est la base de la construction aussi. C’est grâce à elle que la maison tient debout même ! Après, je suis pas en train d’idéaliser toutes les femmes. Je sais bien qu’il y a aussi des mauvaises personnes chez les femmes, hein, détendez-vous les mecs ! Mais ce que je veux dire par là, c’est que la femme a une puissance et il faut pas avoir peur de cette puissance, il faut pas la cacher, ça sert à rien de la cacher cette puissance : elle est là, donc on en fait quoi ? Donc au lieu d’essayer de la cacher, de lui tenir tête, de prendre sa place comme les hommes le font depuis des millions d’années, hé ben il faudrait peut-être lui rendre la pareille, lui renvoyer l’ascenseur et se rendre compte que la femme, dans le monde, a une place ultra-importante. C’est elle qui transmet la mémoire, ben oui ! Et tout commence dans le ventre. Tout commence dans le ventre. On n’a pas été accouché par le cul, mais par la chatte. Vous avez tous été accouchés par la chatte de votre mère, hein les gars, donc désolée pour la vulgarité, mais vous arrêtez pas de balancer des « nique ta mère » à tout-va, donc à un moment donné, arrêtez de niquer vos mères, arrêtez de les niquer ! Arrêtez, arrêtez ! Parce que c’est ça qui fait mal : c’est le fait qu’on nous nique systématiquement en fait. Et qu’on nous fasse culpabiliser parce qu’on se fait niquer ! Après, genre, on est des putes parce qu’on s’est fait niquer. Donc, à un moment donné, c’est un peu compliqué dans nos têtes. Donc c’est facile après de nous insulter d’hystériques. Parce que c’est vous qui nous rendez folles en fait. Donc…on veut bien essayer de prendre sur soi, essayer de comprendre, de tolérer…J’entends même des femmes parler comme des hommes pour se faire intégrer, pour se faire inclure dans le monde des hommes. À un moment donné, faut arrêter ! Faut arrêter, faut rester à sa place. Faut se respecter. Faut rester intègre. Et faut pas céder à leurs désirs. Parce que si on les écoute…pfff…paye ton monde idéal ! Regardez le résultat, quoi ! Donc, laissez-nous un peu de place les gars, faites-nous confiance, arrêtez de vous sentir humiliés quand on a le malheur, à un moment donné, de parler plus fort que vous, c’est pas grave, voilà. Même si malheureusement dans vos têtes il y a pas mal de choses à déconstruire, parce que pour beaucoup vous y êtes pour rien, on vous a éduqué à être les puissants. Donc voilà, avec, en plus, une partie de votre corps… Vous imaginez ? Donc paye ta toute puissance quand même ! Ça aussi, va falloir travailler là-dessus ! Parce que ça devient un problème mondial là ! C’est même plus un problème, c’est un virus le truc ! Et c’est partout dans le monde ! Je pense à votre teub que vous savez pas gérer, quoi ! Tout simplement ! Donc il y a beaucoup de choses à reconstruire.
Et, avant de conclure, une pensée à tous les enfants confinés, qui doivent pas trop comprendre ce qui se passe quand même. N’oublions pas que ce sont eux qui feront demain. Donc il faut les rassurer, il faut les faire rêver, il faut les aimer, il faut bien les nourrir, il faut leur transmettre les meilleures choses possibles. Voilà. Donc, paix sur vous tous. Protection sur tous. Et, surtout, protection sur toutes.