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Témoignage de Mathilde, Étudiante et Mère seule de Saint Denis 1/3

Coronavirus, Crise sanitaire, répression : 

APPEL AUX TEMOIGNAGES DES

FEMMES DES QUARTIERS POPULAIRES !

 

En cette terrible période de pandémie, plus que jamais on garde notre ligne : la parole aux femmes exploitées, sans papiers, des quartiers populaires !

Nous invitons les femmes à nous raconter leur quotidien, au travail et/ou confiné.es.

Nous publions le texte de Mathilde, âgée de 25 ans, étudiante et mère seule de Saint Denis. Présente lors de notre forum "Pour un Féminisme Populaire", elle nous expliquait la situation des mères célibataires devant un système patriarcal violent. Durant le confinement, elle revient sur sa lutte contre le racisme et le sexisme qui rythme sa survie.

 

"Avec une autre amie mère célibataire, on a donc décidé de se rejoindre pour s’organiser ensemble, aménager notre temps et gérer nos responsabilités ensemble."

 

L’épidémie trainait depuis un moment mais je m’en foutais jusqu’à ce que l’école ferme, ça a été la première claque. J’étais au bout de ma vie car je n’avais pas de solution de garde, je travaille et j’étudie donc ça a stoppé toute ma vie. Ma fille a trois ans et demi, elle est asthmatique sévère. Il y a à peine un mois et demi elle était en réanimation à Robert Debré où elle a encore failli mourir d’une crise d’asthme, encore à cause d’une mauvaise prise en charge médical, entre autres parce qu’on vient de Saint-Denis, qu’on est toutes les deux racisées, et que de ce fait on ne nous prend jamais au sérieux. Ça a des conséquences dramatiques sur la prise en charge et, en l’occurrence sur les risques de vie ou de mort de ma fille. En tant qu’asthmatique sévère elle est donc très à risque, j’ai fini par sortir du déni et du coup à m’inquiéter encore plus pour sa santé que je ne le fais déjà au quotidien depuis plus de deux ans. J’étais en panique et sans solutions, je me suis donc organisée avec une pote qui est aussi mère célibataire et qui faisait face au même problématique d’organisation que moi. Et c’était sans compter le stress de rester confinée en solo avec un enfant de trois ans avec lequel les seules discussions possibles tournent autour de pipi-caca-prout, zéro stimulation intellectuelle pendant un temps indéterminé, l'angoisse !

En plus, si l'on été restées seules on aurait eu aucun temps pour travailler sauf la nuit quand les enfants dorment, mais du coup ça aurait signifié ne pas dormir, ne pas avoir de temps de repos. On a donc décidé de se rejoindre pour s’organiser ensemble, aménager notre temps et gérer nos responsabilités ensemble. Quelques jours avant le confinement on s’est donc retrouvées dans l’appartement de ses parents partis à l’étranger, dans un village du sud de la France. C’est là qu’on a appris pour le confinement dans un appartement au-dessus de la mairie du village, déclaré insalubre par un contrôle de la CAF, et donc l’hostilité des villageois et de la mairie commençaient déjà à se faire sentir, mais c’était que le début ! 

J’ai eu la chance de toucher un remboursement de la CAF quelques semaines avant le confinement, des sommes qu’ils m’avaient confisquées depuis des mois (comme ils adorent faire), donc j’ai eu la possibilité d’arrêter le travail du sexe, ce qui m’a sauvé d’une exposition maximale au virus, heureusement… en dehors de ça je travaille dans le secteur de la recherche de manière non-déclarée donc je peux travailler de chez moi alors encore une fois j’ai été très protégée à ce niveau-là.  J’ai pas d’employeur #précaire !

C'est très probable que j'ai contracté le virus. En tant que mère seule, qui plus est pauvre, je fais un grand nombre de tache différente dans la journée : j’emmène et récupère ma fille à l’école, je m’occupe des tâches administratives (je me déplace donc dans des endroits à fort rassemblement de personnes), je fais les courses, je vais à l’université, rdv médicaux, allers-retours à l’hôpital, etc. le tout en transport quand ma copine n'est pas là ou pas véhiculé. Et c’est évident que ce type de suractivité de pauvre ça décuple l’exposition. 

 

 

"Et la gestion raciste, sexiste, classiste de la crise pousse prioritairement les femmes, les minorités de genre, les pauvres et les personnes racisées vers la mort."

 

 

Le confinement était très compliqué parce que je n’étais plus chez moi. L’objectif c’était de s’organiser entre mère célibataire mais on s’est retrouvé hors de chez nous sans assez d’affaires, de jeux pour les enfants, sans machine à laver le linge, dans un appartement insalubre, qu’on s’est épuisées à nettoyer, à rendre le plus sein possible en arrachant des moquettes, en déplaçant des meubles lourds en même pas 24h, tout ça pour le corps c’était épuisant. Le point positif de cet appartement c’est qu’on été dans un endroit où les risques de contamination étaient minimes pour ma fille et qu’on avait accès à un espace vert situé au rez de chaussé du bâtiment partagé par la mairie qui n’en fait pas usage. Cet espace vert était absolument nécessaire pour ma fille qui a un besoin vital de stabiliser son asthme dans cette période d’épidémie. 

 

Mais la mairie nous a mis des bâtons dans les roues dès le début. A peine nous sommes arrivés ils ont fait des bonds en arrière en criant « ne nous approchez pas », nous ont demandé d’où nous venions, pour combien de temps. Les villageois ont appellé la mairie pour savoir qui nous étions et pourquoi nous avions accès à l’appartement et au jardin. Un matin les enfants viennent nous chercher pour nous dire que l’accès au jardin était bloqué. Le matin même ils avaient en effet posé une barrière d’interdiction pour nous empêcher l’accès au jardin, pourtant convenu lors de la location de l’appartement et où il n’y a aucun risque de contamination.  

 

Mon amie a appelé le maire en pleurs pour lui expliquer la situation, rappeler que l’appartement qu’il loue est insalubre, qu’il est inhumain dans ce contexte d’y enfermer une enfant à la santé si fragile alors qu’un jardin a toujours été disponible. Le maire lui dit « écoute ma chérie, tu me fais chier ». Résultat, quelques minutes après les gendarmes viennent toquer à notre porte à sa demande. Ceux-ci refusent de nous parler au motif qu’ils « préfèrent » parler à « l’homme de la maison ». Même quand on leur rappelle que l’homme de la maison, est le petit frère de mon amie, à peine majeur. On nous a accusé d’avoir menacé le maire, d’avoir détruit la barrière d’interdiction, d’être trop agressives, on avait envie de hurler au sexisme et au racisme, mais ça aurait été de la diffamation… La tension était partout et on n'était clairement pas en sécurité. 

 

J’ai compris qu’en dehors des risques sanitaires, l’absence d’empathie pour des mères célibataires et leurs enfants, musulmans, racisées était tout aussi mortel. Et ça n’y a pas manqué, la nuit qui a suivi ma fille a fait une énorme crise allergique (probablement aux acariens, à la poussière ou a je ne sais quel matériel pourri utilisé dans cet appartement), qui a conduit à une crise d’asthme que j’ai passé la nuit à essayer de contenir, puisque l’emmener à l’hôpital aurait été une exposition énorme au virus. Ma fille avait été privée sciemment de la possibilité de respirer un air pur et elle en est tombée quasiment instantanément malade. Les risques de mort qu’ils soient sanitaires ou sociaux sont éminemment liés. Et la gestion raciste, sexiste, classiste de la crise poussent prioritairement les femmes, les minorités de genre, les pauvres et les personnes racisées vers la mort. Comprendre que la vie de ma petite fille noire et arabe était à ce point insignifiante pour la mairie, pour les gendarmes, bref pour le pouvoir, pour les villageois blancs, délateurs, collabos, même si je le savais déjà, ça a été traumatisant.  

 

 

"Ce qui m’a sauvé ça a été d’avoir un réseau d’amis féministes, queer et antiracistes hyper réactifs, que j’ai appelé en chouinant et qui m’ont trouvé une solution de logement qui, Hamdoullah s’avère idéale."

 

 

Même si le risque de contamination dans ce village était quasi nul, les risques liés au racisme et au sexisme se sont avéré être trop dangereux. J’avoue j’ai chiallé, surtout pendant la crise de Soumaya, quand je l’ai vu arriver en pleine nuit avec ses œdèmes sous les yeux et peinant à respirer. Ce qui m’a sauvé ça a été d’avoir un réseau d’amis féministe, queer et antiracistes hyper réactifs, que j’ai appelé en chouinant et qui m’ont trouvé une solution de logement qui, hamdoullah s’avère idéale.  On s’est donc dirigés vers cette autre solution, en préparant en vitesse les enfants, les affaires, en (sur)chargeant la voiture, avec la peur de passer les barrages de keuf ou d’être en contact avec le virus. Alors qu’on s’était briefé sur tout le trajet pour faire profil bas au cas où nous rencontrions de difficulté avec les forces de l’ordre, il a évidemment fallu qu’on retombe sur le même gendarme qui était venu nous interpeller la veille : « Ah mais c’est vous qui êtes de [nom du village] ! je vous reconnais ! » j’ai failli vomir.  

 

On a fini par arriver là où nous sommes actuellement et l’adrénaline commence tout doucement à retomber. Après quelques crises les premières nuits ou nous sommes arrivées, l’asthme de ma fille se régule petit à petit mais à la moindre respiration de travers, je suis terrorisée. Cependant on a encore eu droit à la visite du maire qui a, ici aussi, été alerté de la terrifiante présence de deux mères seules et de leurs gosses en haut du hameau.  

 

 

"On a moins peur du virus ici mais clairement j’ai eu plus peur pour les atteintes à ma vie ici qu’à Saint Denis. "

 

 

On clash beaucoup les parisiens qui partent à la campagne, et je vois bien l’indécence des parisiens qui se payent leurs best vacances surprise dans leur résidence secondaires, à taper des ateliers jardinages, barbecues et sieste. Mais il n’y a pas que des parisiens riches, y a des banlieusards, y a des mères seules, y a des personnes sans logement, il y a des personnes vulnérables, et il n'y a pas de raison qu’on crève encore plus en IDF qu’on ne le fait déjà le reste de l’année, s’il y a de la place à gratter à la campagne et que notre survie en dépend on y va. Et il serait temps aussi d’inverser la perspective on se fait dénoncer partout où on va alors que je veux juste sauver ma fille. Il serait temps aussi de regarder ces personnes qui appellent les mairies, les gendarmes et les policiers, pour préserver leur entre-soi ou leur confort, qui ont le privilège de croire que le pouvoir va défendre leurs intérêts. Franchement ce n’est pas le visage de la France qu’on aime bien présenter dans les livres d’histoires mais ça n'hésite pas à réitérer et continuer ces comportements honteux.  

 

Je me sens hyper protégé, car je suis dans un endroit où on n'a quasiment pas de contact possible, et avec quand même un extérieur. Mais j’ai peur des villageois, je me sens comme dans « Get Out ». Le confinement fait ressortir tout ce qui est raciste et sexiste chez les gens. Quand t’es deux meufs seules, dans un village de vieux, t’as peur. Peur des racistes psychopathes, peur du crevard ne qui n’a rien baisé depuis la nuit des temps et qui ferait bien de toi son quatre heure… En plus, s’ils sont racistes, qu’ils te dénoncent aux gendarmes, t’as peur pour ta survie. On a moins peur du virus ici mais clairement j’ai eu plus peur pour les atteintes à ma vie ici qu’à Saint Denis. 

 

 

La deuxième partie sera publiée Mercredi. 

 

Témoignage de Mathilde, Étudiante et Mère seule de Saint Denis 1/3
Tag(s) : #Racismes et islamophobie, #Sexisme et violence
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