Coronavirus, Crise sanitaire, répression :
APPEL AUX TEMOIGNAGES DES
FEMMES DES QUARTIERS POPULAIRES !
En cette terrible période de pandémie, plus que jamais on garde notre ligne : la parole aux femmes exploitées, sans papiers, des quartiers populaires !
Nous invitons les femmes à nous raconter leur quotidien, au travail et/ou confiné.es.
Depuis lundi, nous avons publié les deux premières parties du témoignage de Mathilde, âgée de 25 ans, étudiante et mère seule de Saint Denis. Nous concluons la semaine avec la fin de son récit du confinement.
Présente lors de notre forum "pour un féminisme populaire", elle nous expliquait la situation des mère célibataire devant un système patriarcale violent. Durant le confinement, elle revient sur sa lutte contre le racisme et le sexisme qui rythme sa survie.
"Mais mes pensées vont tellement vers les personnes qui n’ont pas cette chance et qui sont exposées à de la violence…"
Y’a deux axes de tensions que j’ai vécus : celle de l’extérieur quand on a quitté Saint Denis. Et on s’est confronté à des fachos réac, à la dénonciation, à la criminalisation et la calomnie. Ça c’est dangereux et ça fait peur. Et donc profil bas… pas le choix
Et après y’a les tensions interpersonnelles sur comment gérer le confinement. Comment est-ce qu’on vit sur une période indéterminée mais probablement longue avec la/les mêmes personnes… Dans mon cas, ça va, je cohabite avec une personne féministe, musulmane qui partage les mêmes préoccupations que moi, et qui n’est pas un mec cis*, donc a priori on devrait pouvoir gérer. Mais mes pensées vont tellement vers les personnes qui n’ont pas cette chance et qui sont exposées à de la violence…
Pour la contamination, j’étais angoissée pour ma fille, j’avais peur de faire des mauvais choix et de l’exposer à un risque de mort vu sa fragilité. Mais je suis très croyante (même si ma pratique fait d’énormes va-et-vient) et je me suis remise à Dieu. J’ai voulu contenir tous les risques pour elle mais il y avait toujours une part de donnée incertaine que je ne pouvais pas contrôler. J’ai accepté que je ne pouvais pas la protéger complètement. Ça m’a permis de me détendre et surtout de ne pas regarder les autres comme des menaces. On ne sait pas ce qui pousse les autres à sortir, à ne pas respecter le confinement, parfois c’est par nécessité, parfois c’est par non-accès aux recommandations, non accès à la langue, etc. Parfois aussi c’est par solidarité envers les autres, notamment tous ceux qui collectent des courses et de la nourriture pour ceux qui n’ont pas les possibilités matérielles de le faire eux-mêmes et ça, non seulement on doit le respecter mais aussi réfléchir à la façon d’y contribuer. Rester chez soi et respecter les normes préventives ne sont pas les seules conduites responsables et encore moins éthiques.
"Si j’avais dû compter sur l'argent des hommes cis* pour gérer cette épidémie, on ne s’en serait pas sorties… "
Hamdulilah,je n’ai pas d e perte de revenu parce que depuis des mois, j’anticipe une sortie du travail du sexe. J’ai trouvé un travail pas déclaré et en faisant toute mes heures, pour rentrer dans mes frais. Si je faisais toujours du TDS je serais dans la merde parce que j’aurais aucun parachute. Il y a quelques mois c’était ma seule rentrée d’argent. Et avec le confinement, j’aurais été obligée de l’arrêter sans autre source de revenu ça aurait été horrible.
J’ai demandé de l’argent au père de ma fille, pour faire ces énormes courses là. Hors du confinement, ce sont des dépenses que j’étale, que j’ajuste au fur et à mesure. On ne se rend pas compte à quel point c’est compliqué pour pleins de personnes précaires de faire des grosses courses, une fois toutes les deux semaines, ça demande une sortie d’argent brutale et colossale que tout le monde n’a pas. Bref, pour en revenir au père de ma fille, il ne m’a quasi rien donné, alors qu’il est contremaitre dans une société de nettoyage dans l’aéronautique et touche en moyenne 3000€ par mois. Si j’avais dû compter sur l'argent des hommes cis pour gérer cette épidémie, on ne s’en serait pas sorties…
Sinon je touche mon RSA de crevard qui continue de couvrir mes frais de Saint Denis et j’ai mon remboursement de la CAF en back up qui est sensé me servir à déménager, mais dans lequel je taperai si besoin.
En ce qui concerne le travail, j’ai eu la chance de pouvoir arrêter le travail du sexe avant le début de l’épidémie par ce que j’ai trouvé un taf de recherche qui me permet de substituer une partie des revenus du travail du sexe. Du coup, en ce moment je fais de la co-recherche. Mais j’ai dû aussi arrêter pendant au moins 10 jours pour installer dans notre première location, puis installer la deuxième, puis gérer la santé de ma fille, bref ça ne s’arrêtait plus. J’ai dû prendre un arrêt alors que mon travail n’est pas déclaré donc j’ai aussi dû rattraper ensuite ces heures pour pas perdre de salaire, tout ça c’est une charge de stress très importante.
"On vient de sortir de l’urgence de notre situation donc il est temps de trouver des moyens de faire acte de solidarité d’une manière ou d’une autre, et ça commence déjà par demander aux personnes et aux organisations de quoi elles ont besoin. "
Au quartier, j’y suis plus, hamdulilah parce que c’est franchement la merde. J’entends parler de Saint Denis tous les jours. Je prie pour eux. Les gens que je connais avec des enfants, vivent dans des appartements minuscules sans extérieur et sans argent, heureusement je me suis barrée, toute seule avec ma fille là-bas, dans mon 30m² ça aurait été l’horreur.
La banlieue souffre de la précarité et de l’isolement encore plus qu’à la normal vu que tous ceux qui vivaient de taf non déclaré se retrouvent sans travail et sans rentrés d’argent. Mais en plus de ça, les associations qui palliaient à ces situations se retrouvent sans bénévoles. Mais même à distance, il est possible de travailler à de la coordination, contacter les orgas pour connaitre leurs besoins et relayer, participer aux cagnottes, etc. On vient de sortir de l’urgence de notre situation donc il est temps de trouver des moyens de faire acte de solidarité d’une manière ou d’une autre, et ça commence déjà par demander aux personnes et aux organisations de quoi elles ont besoin.
Pour qualifier la politique de Macron, je dirais "Hypocrite". Je ne suis pas contre le confinement ayant une enfant à risque. Mais ce confinement est irresponsable. Ils annoncent le renforcement de la répression en cas de non-respect du confinement mais rien à propos des patrons qui continuent de faire venir leurs ouvriers sur des activités même pas vitales. Rien non plus à propos des sans-abris, sans-papiers qui subissent l’impossibilité de se confiner, ou encore des prisonniers, des personnes enfermées dans des établissements de santé qui subissent l’obligation de demeurer en collectivité avec les risques de contagions que cela implique. Et qui dit renforcement de la répression dit exposition maximale aux violences policières, c’est la peste ou le cholera pour les personnes racisées et précaires. Et au final, c’est la peste, le choléra et en bonus le corona virus…
Je ne pourrais pas faire la fête parce qu’il y a un pic de contamination après les confinements, je ne pourrais pas prendre les transports pour aller vivre mes meilleures vacances, donc tout ce qui me reste de plus responsable pour kiffer ma vie c’est d’avoir une intimité sexuelle avec une autre personne.
La politique de l'après, je n'y ai même pas encore pensé. Je suis dans le présent, je ne pense pas vraiment à l'après confinement.
*Cis-genre: Se dit d'un individu dont l'identité de genre est en accord avec son sexe (celui assigné à la naissance).