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Face aux inégalités sociales : se protéger en Famille. Témoignage de Nahida, Etudiante, caissière à Marseille, 23 ans.

Coronavirus, Crise sanitaire, répression : 

APPEL AUX TEMOIGNAGES DES

FEMMES DES QUARTIERS POPULAIRES !

Nous invitons les femmes à nous raconter leur quotidien, au travail et/ou confiné.es.

 

Nahida, jeune étudiante travailleuse à Marseille, vient de St Etienne. Elle nous livre ici son témoignage sur le quotidien d’une famille d’immigrée kabyle et leurs enfants en tant de confinement. Elle décrit les galères racistes et administratives vécues par son père, alors qu’il  a une maladie chronique ; la colère de sa maman, aide soignante face à la pénurie organisé depuis des années à l’hôpital et la hiérarchie au sein des soignants ; le racisme transversal à tous leurs espaces de vie et de travail ; la précarité qui touche les jeunes adultes de l’immigration et des quartiers populaires Mais c’est surtout un beau témoignage sur les solidarités crées par cette famille pour se protéger, tout en gardant des liens forts avec leurs communautés et leurs quartiers.

Mes parents n’ont pas voulu que je me mette en danger. En plus, le Casino où je travaille n’arrêtait pas de me harceler d’appel pour que je vienne taffer, en me mettant la pression. Ma mère a pété un câble et a fini par répondre à ma place. « C’est de la folie d’harceler des étudiantes précaires pour travailler dans des conditions comme ça ».

Je suis en Cité Universitaire à Marseille, il n’y a eu aucune politique de sensibilisation avant l’annonce du confinement.

Jusqu’au confinement, j’ai continué à travailler et à m’exposer car nous n’avions pas de protection. Après la première allocution de Macron pour annoncer la fermeture des écoles etc, on a vu les gens envahir les supermarchés. On a eu un énorme rush et aucune protection. Le lundi de l’annonce du confinement, on a enfin eu un dispositif anti postillon, mais pas de masques.

On a décidé de protéger toute la famille et de se mettre en arrêt.

Mes parents étaient en Algérie. Ils ont réussi à avoir un vol jusque Marseille pour rentrer en France. Je devais les remmener dans notre ville, Saint-Etienne. Mais je devais rentrer ensuite travailler sur Marseille, pour avoir un salaire. Mais mes parents n’ont pas voulu que je me mette en danger. En plus, le Casino où je travaille n’arrêtait pas de me harceler d’appel pour que je vienne taffer, en me mettant la pression. Ma mère a pété un câble et a fini par répondre à ma place. « C’est de la folie d’harceler des étudiantes précaires pour travailler dans des conditions comme ça ».

En fait, le Casino était en galère, car beaucoup de salarié.e.s en fixe se sont mis en arrêt : nos chefs comptaient sur les précaires et les étudiant.e.s. Ils voulaient qu’on change nos contrats de 20h à 40h.

Donc malgré le stress de perdre mon salaire à la fin du confinement, mes parents m’ont convaincu. Ils ont eu raison de vouloir me protéger : la solidarité familiale existe et nous permet de survivre.

Du coup, on a aussi poussé mon père à se mettre en arrêt, car il souffre d’une maladie professionnelle : un asthme chronique, conséquence des poussières et des matériaux de l’usine de construction où il travaillait. Il a 56 ans. Il est donc une personne à risque. Il est maintenant chauffeur de bus. Il est aussi exposé en continu en conduisant, car ils n'ont pas de protection non plus. On a beaucoup débattu avec lui et au début, il ne voulait pas s'arrêter, par conscience professionnelle.

Mais deux de ses collègues, maghrébins aussi, ont eu le Corona, dont un avec une hospitalisation car c'était grave. Un de ses collègues a carrément contaminé d’autres membres de sa famille.

Ça été son premier déclic. En prenant conscience qu'il pouvait nous contaminer, il a décidé de s'arrêter.

Ma mère est aide-soignante, elle est en arrêt maladie depuis 2 ans suite à un accident de travail à l’épaule. A 50 ans, c’est déjà un corps cassé. Elle a gardé contact avec ses collègues, et hallucine des traitements infligés à ces collègues, le mépris de l’Etat mais aussi de la hiérarchie, des médecins etc .. Par exemple, il y a des livraisons de repas par les gens, en solidarité, les aides-soignantes en sont exclues. C’est rageant.

J’ai une petite sœur, étudiante à Lyon, qui est aussi caissière pour payer ses études. On a aussi poussé pour qu’elle arrête de travailler. Mais son chef a été plus harceleur que le mien, avec des vrais coups de pression, des appels incessants, des mails. Le chef ne voulait pas accepter son arrêt maladie. On a dû se battre. Le gars il a cru qu’on ne connaissait pas le droit du travail.

Le pire pour lui, ça été le manque de solidarité au travail à l’égard de ses collègues malades. Ces deux collègues sont arabes et ont été stigmatisés au travail. Il n’y a eu aucunes solidarités, et les collègues arabes se sont sentis encore plus isolés qu’ils ne l’étaient déjà. Les collègues ont passé leur temps à se demander si la collègue contaminée les avait salués, à qui elle avait pu passer le virus. Alors que son cas était grave et que sa famille entière a été touchée. Ça a dégoûté mon père, il percute plus les différences de classe et raciales.

Prendre encore plus conscience des inégalités de classe et raciales.

On a ensuite passé les trois premières semaines du confinement à mener une guerre administrative : pour obtenir les arrêts, les envoyer, se renseigner sur les indemnités …

Notre médecin de famille a refusé pendant plusieurs jours d’arrêter mon père malgré sa maladie professionnelle. Alors que c’est une personne à risque, exposé H24. On a dû la harceler, l’appeler tous les jours, pleurer, mettre des coups de pression. On s’y est toutes mise ! C’était déjà une décision difficile pour mon père, cette attitude l’a mise en stress maximum. Mais on a rien lâché, et elle a fini par céder.

Mais depuis, la sécurité sociale doit être débordée, car on galère à obtenir les papiers de l’arrêt et donc au niveau du travail, on reçoit la pression des chefs, mon père a eu peur d’être viré pour abandon de poste. Au bout de 3 semaines donc, à harceler tout le monde, on a enfin reçu les papiers. Mais tout est guerre et angoisse permanente.

Mon père a eu son deuxième déclic pendant ces galères administratives. Il lui a fallu du temps pour assumer son arrêt maladie, alors même qu’il est légitime. Il a toujours été serviable au taf, était le « bon immigré » bosseur etc. Il a toujours remplacé ses collègues en galère, accepter chaque heures sup, était un bon chauffeur … Mais voir comment la médecin, l’administration l’ont méprisé :  ça été un coup de semonce de voir comment on le traitait alors qu’il faisait face à une vraie galère.

Mais le pire pour lui, ça été le manque de solidarité au travail à l’égard de ses collègues malades. Ces deux collègues sont arabes et ont été stigmatisés au travail. Il n’y a eu aucunes solidarités, et les collègues arabes se sont sentis encore plus isolés qu’ils ne l’étaient déjà. Les collègues ont passé leur temps à se demander si la collègue contaminée les avait salués, à qui elle avait pu passer le virus. Alors que son cas était grave et que sa famille entière a été touchée. Ça a dégoûté mon père, il percute plus les différences de classe et raciales.

 

Cette pénurie que nous vivons, là, les gouvernements l’ont organisé depuis des années. Et Zaama maintenant, tout le monde applaudit. Ma mère, ça lui fout la rage, quand elle voit les applaudissements des bobos parisiens. Elle nous rappelle aussi que le mépris il est aussi en interne à l’hôpital. Les « soignants » ça n’existe pas : il y a des cadres, le mépris des médecins, des infirmières aussi envers les Aide-soignante et les ASH. Il ne faut pas l’oublier. Car ce mépris continue encore aujourd’hui.

Prendre conscience de notre place : les sacrifiées

On ne regrette donc pas d’avoir fait jouer la solidarité familiale, on n’a pas eu le choix car on n’a pas d’autre soutien. S’ils veulent nous sacrifier, nous avons le devoir de prendre soin de nous-mêmes.

Du coup, on parle beaucoup plus de politique. Mon père a toujours été politisé. Ma mère était en retrait. Or là, on regarde les infos ensemble, on commente, on s’énerve. Mes parents ragent sur l’Etat. Ma mère a des contacts avec ses collègues de l’hôpital et c’est rageant pour elle de voir comment les nôtres sont sacrifiés. Cela fait 25 ans qu’elle est aide-soignante, elle a vu les conditions de travail se détériorer. Elle a toujours gueulé sur les économies imposées, l’exploitation et le mépris. Avant son arrêt, ma mère gueulait déjà sur ses cadres qui leur demander d’économiser sur tout : les blouses, les masques…

Cette pénurie que nous vivons, là, les gouvernements l’ont organisé depuis des années. Et Zaama maintenant, tout le monde applaudit. Ma mère, ça lui fout la rage, quand elle voit les applaudissements des bobos parisiens. Elle nous rappelle aussi que le mépris il est aussi en interne à l’hôpital. Les « soignants » ça n’existe pas : il y a des cadres, le mépris des médecins, des infirmières aussi envers les Aide-soignante et les ASH. Il ne faut pas l’oublier. Car ce mépris continue encore aujourd’hui.  Par exemple, ma mère nous as dit que les dons de bouffe réalisés en solidarité, ne sont pas partagés avec les aides-soignantes ou ASH. J’ai été ASH pendant 5 ans l’été, j’ai vu comment on était invisibles, personne ne nous voyait, ne nous entendait.

Faire front ensemble face aux violences de classe et au racisme, ça a recrée un lien fort entre nous. On n’a pas peut-être pas de place dans ce monde, mais sait prendre soin des uns et des autres. Ça nous as rappelé que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes. On est bien entre nous, même si on doit en permanence compenser les failles de l’Etat.

Ce confinement nous a donc rappelé notre place dans ce monde.

Macron n’a jamais prononcé notre nom, en tant que habitants et habitantes des quartiers populaires, nous les immigré.e.s et leurs enfants.

A sa première allocution, il a romantisé le confinement : lire, jouer etc … Mais le gars, il croit qu’on vit comme lui ? Il ne connaît pas les HLM, les maladies, l’entassement, l’insalubrité. Qu’il aille vivre dans les quartiers nord de Marseille : au milieu des problèmes électriques, des cafards etc …

Faire front ensemble face aux violences de classe et au racisme, ça a recrée un lien fort entre nous. On n’a pas peut-être pas de place dans ce monde, mais sait prendre soin des uns et des autres. Ça nous as rappelé que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes. On est bien entre nous, même si on doit en permanence compenser les failles de l’Etat.  Et du coup, on s’impose plus dans notre village, qui est très blanc et bourges et nous ont vu comme des « envahisseurs ».

On n’a jamais lâché les liens avec notre ancien quartier. On a encore nos amis, nos familles. On nous a beaucoup appelé ma sœur et moi, car on fait des études pour aider les parents avec leurs enfants par rapport à l’école. Là aussi, on a dû compenser les failles de l’Etat.

La colère qu’on encaisse, c’est une maladie chronique. Vu ce qu’on vit, c’est impossible de rester calme. On a trop l’impression d’être des sauvages. Cette colère nous ronge aussi, nous rends malade, crée du stress et des conflits entre nous. Donc je nous souhaite de prendre soin de nous. On sait que nous serons les seuls à le faire.

Quand je sortirais, je veux changer la société pour les mien.ne.s et remettre NOS combats au cœur de ma vie militante

Je veux m’engager encore plus sur la question des violences policières et des violences faites aux femmes. J’espère une vraie prise de conscience sur ces inégalités.

On mesure encore plus que les précaires, les intérimaires, les immigré.e.s font tourner le pays.

Je nous souhaite donc de belles luttes. Mais la colère qu’on encaisse, c’est une maladie chronique. Vu ce qu’on vit, c’est impossible de rester calme. On a trop l’impression d’être des sauvages. Cette colère nous ronge aussi, nous rends malade, crée du stress et des conflits entre nous. Donc je nous souhaite de prendre soin de nous. On sait que nous serons les seuls à le faire.

Tag(s) : #Femmes et immigration, #Racismes et islamophobie
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